Projet bavière : que faire avec la dentisterie ?
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Photo le Vieux Liège |
Dans le projet d’urbanisation de l’ancien
hôpital de Bavière le consortium BPI, Thomas&Piron et UrbaLiège ne
maintient pas la dentisterie. Il est vrai que le bâtiment délabré et squatté
offre une bien piètre mine depuis son abandon en 2001. Pourtant, la dentisterie
fait partie de l’architecture moderniste qui se développe dans les années 1930,
en concurrence avec l’Art déco et le style Beaux-Arts.
édifices publics de style moderniste
nous avons à Liège l’église du Sacré-Cœur et Mémorial Interallié à
Cointe (Jos Smolderen, 1928-1936 ), le siège du journal « La Wallonie »
actuellement commissariat de Liège, Rue de la Régence (Joseph Moutschen1925) ;
le Pont-barrage de Monsin (1930) et le Mémorial Albert Ier à l’entrée du Canal
Albert (1939 J. Moutschen) ; la Plaine de jeux Reine Astrid ( Groupe
l’Équerre 1937) ; le lycée Léonie
de Waha (1936-1938) boulevard d’Avroy, et le Palais des Fêtes de la Ville de
Liège de 1939.
Pour Olivier De Wispelaere, ingénieur-architecte de formation et assistant à
l’ULg, co-président, de l’ASBL citoyenne urbAgora, ce bâtiment est un des rares
bâtiments liégeois de style Bauhaus (= moderniste), le cousin nord du site du
Val-Benoît.
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phot lechainonmanquant |
Nous venons de voir que ces bâtimentsne sont pas si rares que ça, mais il
est vrai que certains de sont dans un piteux état (l’église du Sacré-Cœur) et
le Palais des Fêtes de la Ville de Liège de l’expo de 1939 (déjà reconverti en
patinoire) attend une nouvelle affectation. D’autres par contre sont restaurés
ou en voie de restauration (Waha, Mémorial de Cointe, le Val-Benoit, la
Wallonie, la Sauvenière).
Si les autres architectes modernistes comme Jos Smolderen, Joseph Moutschen
ou le Groupe l’Équerre ont un palmarès impressionnant, celui de Charles Servais est mince : il a réalisé
quelques habitations privées rue Fond Pirette en 1932, et un projet avorté
d’immeuble à appartements rue Saint-Laurent en
1939.
Pour Thomas Moor, directeur Guide d’architecture moderne et contemporaine à
Liège 1895-2014, sa valeur architecturale intrinsèque est relative — elle est
représentative des investissements menés par l’Université dans
l’entre-deux-guerres à Liège, en mode mineur en regard du remarquable complexe
universitaire du Val Benoît — elle est néanmoins reconnue par Docomomo Belgium.
Un architecte peu connu, un bâtiment en mode mineur en regard de son ‘cousin’ du Val
Benoît ; s’ajoute à cela que pour tous ces bâtiments fonctionnalistes,
leur qualité devient une tare en cas de réaffectation. La dentisterie était un
modèle de fonctionnalisme. Servais avait dressé les plans en collaboration avec
Henri Fauconnier, un chargé de cours qui connaissait bien l’organisation des
grands instituts de stomatologie étrangers. Seules les baies du demi sous-sol
et les bouches d’aération sont décorées de grilles sobres aux formes
géométriques. La revue Bâtir souligne à l’époque « la qualité essentielle du
rythme de la bâtisse ». Si l’amphithéâtre et les vastes plateaux libres d’usage
ont des qualités spatiales indéniables, d’autres comme les cabines de dentiste
sont plus difficiles à réaffecter.
Ce fonctionnalisme allait jusqu’à prévoir un exhaussement ultérieur!
L’Université de Liège avait construit ce nouveau bâtiment pour son service de
stomatologie quand la dentisterie devient une discipline universitaire. Le
chantier dure de 1937 à 1940 mais l’’inauguration officielle n’a lieu qu’en
1946. Servais a construit les quatre niveaux sur une structure métallique
pensée pour supporter un exhaussement ultérieur (début des années 70 l’édifice
est effectivement exhaussé de deux nouveaux étages). La façade s’inscrit dans
un dialogue de la brique et du verre, dans un rejet de l’ornementation gratuite
(source http://levieux-liege.be/?page_id=384
).
Si la fonction historique joue fortement pour certains bâtiments comme la
piscine ou la patinoire, qui évoquent des moments heureux, pour la plupart des
gens une dentisterie n’évoque pas nécessairement des souvenirs agréables.
En 1985, contrairement aux autres services de l’hôpital de Bavière,
l’institut n’est pas transféré au Sart Tilman. Mais le répit ne dure que quinze
ans: en 2001, l’ancien institut de stomatologie est définitivement fermé et
laissé aux mains des vandales. Le fonctionnalisme de Servais n’allait pas
jusqu’à celui de l’architecte nazi Speer qui développa la théorie de la valeur
des ruines, à la suite d’une visite sur le site, tout juste dynamité, du futur
chantier du Zeppelinfeld, à Nuremberg. Speer construisait des édifices qui
après des centaines ou des milliers d’années ressembleraient aux ruines laissées par Rome. Il
a eu ses ruines un peu plus vite, et elles ne ressemblaient pas du tout à
l’ancien Rome.
Ceci dit, les urbanistes du consortium BPI, Thomas&Piron et UrbaLiège
invoquent des problèmes de stabilité du bâtiment qui rendraient une
réaffectation onéreuse. Une affirmation à prendre avec des pincettes puisqu’ils
sont juge et partie…
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photo sauvaonsladentisterie |
En 2005, la Ville de Liège demande encore à définir un projet pour ce «
symbole architectural de la modernité héroïque » et l’équipe lauréate de l’appel à projet pour
Bavière, pilotée par les architectes d’Anorak (Cédric Libert, Vincent Piroux,
Cécile Chanvillard) louait encore ses qualités spatiales indéniables
(amphithéâtre et vastes plateaux libres d’usage), en projetant une affectation
culturelle à définir. En 2008, le promoteur demande de permis de démolir.
En 2012 un «Collectif dentisterie » constitué par UrbAgora, SOS Mémoire de Liège,
Le vieux Liège et Patrimoine Outremeuse avait fait des propositions en reprenant l’idée ‘d’affectation culturelle’. Alain
De Clerck avait suggéré d’en faire un «
phare culturel eurégional entre Liège, Maastricht et Aix, valorisé dans le cadre de Maastricht 2018 ».
D’autres lui rendraient bien sa fonction historique de formation en y
installant la faculté d’architecture. Trouver une nouvelle affectation est
évidemment important, même si cette question devrait trouver une solution assez
facilement dans le cadre du grand pôle culturel prévu sur
le site. Ce qui permettrait de ramener la question à son essence : cela
vaut-il la peine de sauver ce témoin d’architecture moderniste des années 30…
Sources
VAN EVERBROECK, Louis, L’institut de stomatologie de l’Université de Liège
dans Bâtir, n° 75, Bruxelles, février 1939, p.66 – 70
idem https://orbi.ulg.ac.be/bitstream/2268/116306/1/dentisterie.pdf