Un Herstalien, Edouard Wagener, à au cœur de la révolte de 1886
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La Grève Robert Koehler 1886 |
Lettre de Wagener à La Meuse lors de son procès en Assises
en 1886: « Il faut démantibuler le Vieux Monde. C’est quand le porc est
gras, bourgeois, qu’on le tue. Ouvrier, prends la machine! Paysan, prends la
terre! ».
1886. Année de crise
1886. Année de crise.
en grève. La troupe intervient sans succès. Une campagne internationale de
solidarité se développe. A Liège on vend Le Catéchisme du Peuple à 10 cts au
lieu de 5 cts, au profit des mineurs de Décazeville.
personnel au profit des ouvriers nécessiteux, pensionnés ou renvoyés faute
d’ouvrage. Elle se charge gracieusement d’en verser le produit à un bureau de
bienfaisance. Ces mesures, estime le directeur baron Sadoine, n’ont pas été
sans influence sur l’assiduité des travailleurs de cette entreprise lors des
grèves de mars.
18 mars 1886: Meeting public organisé à l’occasion
de la Commune de Paris
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extrait La Meuse 19 mars 1886 |
En 1881, Edouard Wagener, cafetier au Rivage à Herstal,
prend la présidence des « Va-Nus-Pieds », la fédération liégeoise de
l’Association Internationale des Travailleurs.
en commémoration du 15° anniversaire de la Commune en la salle du Café National, place Delcour, suivi d’une
manifestation place Saint Lambert.
bourrasque sociale et amènera Wagener aux Assises.
« vive la république« . Parti de Seraing, un cortège ramasse les travailleurs
de Jemeppe, Ougrée, Tilleur, à la suite d’un drapeau rouge. D’autres arrivent de
Saint-Nicolas, de Herstal.
estime la police. Wagener arrive, porteur d’un drapeau rouge. Arrivé rue
Léopold, le cortège casse la grande épicerie Mauguin. Un torrent s’écrase en
Neuvice, la rue aux orfèvres. Dans l’arrière salle du café National un
Warnotte, qui se réfère aux thèses défendues par le tout jeune Parti Ouvrier Belge POB , « fait
honte aux manifestants des désordres : point n’est besoin d’appeler à la
révolte pour revendiquer nos droits. Vive l’ouvrier lorsqu’il pense et qu’il
agit après voir bien pensé« . Ce Warnotte témoignera contre Wagener au
procès aux Assises. Il lui mettra ces mots à la bouche : « Les
propriétaires, nom de D…, c’est avec la dynamite qu’il faut les traiter. Une
bête vous saute au nez pour défendre ses jeunes, et vous autres vous êtes assez
c… pour ne pas donner à manger à vos enfants. Ceux qui ont des enfants qui
crèvent de faim et ne cherchent pas à leur procurer du pain, n’importe par quel
moyen, sont N… de D… des rosses. La faim justifie le vol et le pillage. Vive la
Commune». Vers 20h30 la place Delcour devant le café National est couverte de 3
à 4000 personnes.
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meeting POB 26 avril 1886 |
Le bourgmestre de Liège avait signé une interdiction de rassemblement
de plus de 5 personnes. La vue de 18 gendarmes à cheval et de 12 gendarmes à
pied des Chasseurs Eclairés et des Artilleurs de la Garde civique provoque une
immense clameur: « A bas les gendarmes! A bas la garde civique!«
assiège l’hôtel de ville. Du pétrole en flamme est projetée sur les gendarmes à
cheval. Le bilan: 17 blessés amenés à la permanence, 60 arrestations, 104
édifices endommagés. La Meuse écrit: « vers 4 heures, les anarchistes étaient
retournés dans les villages de la banlieue d’où ils étaient sortis comme des
bandes de barbares ».
berline de Cockerill. Il est prié à dîner par le baron Sadoine, directeur
général de Cockerill.
Concorde à Jemeppe. Tous les mineurs qui avaient quitté leur travail sont
congédiés sur le champ comme grévistes et fauteurs de révolution. Dans la nuit,
la rage au cœur, quatre fugitifs rentrent de Liège. La grève éclate. Les vitres
de la maison du directeur Kelecom volent en miettes. A 7 heures, une centaine
d’hommes à Seraing , derrière un drapeau rouge improvisé, exhortent les
habitants à marcher sur Liège.
gendarmes à cheval et d’un escadron de lanciers marchent sur Tilleur et
Jemeppe. Deux compagnies sont postées aux Usines Cockerill, encore que le baron
Sadoine, administrateur directeur général de la Société Cockerill, fasse
admirer la discipline de ses gens, tous au travail, eux.
police se portent aux Charbonnages du bois d’Avroy et du Val Benoît. Au palais
de justice pénètrent par fournée les détenus dont hâtivement on instruit le
procès. L’escorte de policiers revolvers au poing fait des moulinets du sabre
pour dégager la passage.
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desordres à Liège 1886 (La Meuse) |
A 19h30 le couvre feu est décrété. A Tilleur, on a brisé
portes et fenêtres des boutiques. Beaucoup de revolvers entre les mains des
grévistes, assure la Journal de Liège, des casse-tête formés d’une boule de fer
ou d’un boulon au bout d’une corde. Deux cents grévistes, descendus de Saint
Nicolas, attaquent le charbonnage du Horloz: fusillade devant la maison du
directeur. Des éléments du 9° de ligne chargent à la baïonnette.
de ville, où sont enfermés des camarades.
flambent à Tilleur. Cockerill, le Horloz, seraient au pillage. Le château,
l’hôtel de ville de Seraing brûlent » (journal de Liège 21.3.1886).
Horreur, « on aurait même hissé la tète d’un maître ouvrier au bout d’un
bâton » (Le peuple 22.3.1886).
brille aussi sur les 6000 troupiers chargés de l’ordre dans le bassin à demi
paralysé.
quoi impressionner: 6 bataillons de ligne, 5 escadrons de lanciers, 2 batteries
d’artillerie à cheval, 100 gendarmes renforcés d’unités des 9°, 10° et 12° de
ligne venant d’Arlon et de 3 bataillons du 4° de ligne venant de Bruxelles. Le
ministre de la guerre lui-même, le général Pontus, a parcouru les positions
dans la berline de Cockerill, escortée par les lanciers. Il a été prié à dîner
par le baron Sadoine, administrateur directeur général de la Société Cockerill.
Les soldats tirent
mineur armé d’un pistolet, une femme qui allait quérir son enfant à l’école, un
père de famille qui sera amputé, un jeune passant touché au ventre. Il décédera
à l’hôpital. A Jemeppe, Joseph Dewar, 18 ans, Lambert Sody,15 ans, tous deux
membres de la fanfare locale, tombent mortellement frappés.
dans la face. A sa fenêtre, rue des Pierres, Nicolas Jacob, cafetier et agent
d’affaires, a la tête emportée d’un coup de fusil par un fantassin chargé du
couvre feu.
haut de la Chauve Souris, près du Charbonnage de la Haye, à Saint Gilles. Deux
luxembourgeois, Charles Manderscheid et Pierre Schroeder, sont très grièvement
blessés.
charbonnages. A Herstal 129 des 169 mineurs de la houillère Gérard Cloes
refusent de descendre. Le bourgmestre apprend qu’une dizaine d’individus
s’étaient promenés à Wandre, avec drapeau rouge et bonnet phrygien, sous les
fenêtres du Charbonnage, qu’ils avaient traversé le pont de Wandre-Herstal et
qu’ils étaient venus manifester devant la maison occupée par la famille du
détenu Wagener. Il décide de faire fermer les cafés à 19h, d’interdire des
rassemblements et la circulation sur le pont sans laissez-passer.
inauguré est assez cocasse si l’on sait que ce pont avait été réclamé depuis des
décennies par Herstal. Signalons en passant que l’année après, en 1887, le même
bourgmestre interdit une réunion de propagande en plein air à l’occasion de
l’inauguration de la première Maison du Peuple au n° 13 de la rue Hoyoux
(source : P. Baré p. 297).
resté ouvert ; une visite du commissaire « en fit sortir plusieurs individus
notoirement connus comme adeptes de Wagener. Ils furent conduits, sous escorte
de police et de pompiers, jusqu’au-delà du pont ».
Cloes à la Petite Bacnure, Bonne Espérance et Bonne Foi Hareng.
pour les funérailles duquel un bataillon de carabiniers, un bataillon de
lignards, un fort détachement de lanciers sont mobilisés.
l’œil de la troupe. La fanfare dont il était membre n’a pu sortir de l’église.
Seule la famille a pu suivre le cercueil au cimetière.
tôleries et laminoirs de Jemeppe et d’Ougrée. Un mouvement s’est amorcé à
l’Usine de fer de Cockerill. Mais le baron Sadoine est sur la brèche. Il sait
stimuler les forces de l’ordre et haranguer ses salariés. Ce n’est pas pour
lui, proclame-t-il, qu’il va chercher des commandes aux quatre coins de
l’Europe et qu’il travaille à perte; c’est pour leur donner de l’ouvrage et
subvenir aux besoins de leurs femmes et enfants.
Tragédie à Roux
Charleroi. La paie du 25 mars, réduite, a indigné les mineurs. Le 26 mars, la
fermentation gagne les verreries. A Lodelinsart, l’usine Baudoux flambe, ainsi que
le château du propriétaire. Tragédie à Roux, le lendemain, des morts parmi les
grévistes trop audacieux devant des militaires en haute amenés forcés.
à Liège: 4 morts, 43 blessés. Le 31 mars le roi écrit: « Il faut faire une
loi pour atteindre les meneurs et leurs écrits, une autre pour réprimer le port
d’armes sans autorisation ». Le 16 avril le ministre de la Justice
présentait à la Chambre le projet de loi qui servira (e.a.) à accuser les 13 de
Clabecq.
tombent: 77 condamnations par le Tribunal correctionnel de Liège, nous
négligeons les cas de police dont regorgent les prisons. On reproche à Edouard
Wagener son attitude « révoltante », son air de « bravade » et
ses réponses « cyniques ». Il est âgé de 37 ans. Il avait été sous-officier, grâce à « une grande facilité de conception et
d’élocution », mais ensuiteramené au rang de sergent, puis dégradé. Il avait monté une affaire de galvanoplastie, travaillé à la Fonderie des canons. Négociant, commissionnaire, il était en 1886 fabricant de chaises et
cabaretier, près du Pont de Wandre, à Herstal. Lors de son procès en Assises, La Meuse
publie des extraits d’une de ses lettres à un journal de Herstal: « Il faut
démantibuler le Vieux Monde. C’est quand le porc est gras, bourgeois, qu’on le
tue. Ouvrier, prends la machine! Paysan, prends la terre! »
La cour frappe Wagener au maximum: 6 mois de prison.
immense accompli dans les masses par le Catéchisme du Peuple, catéchisme
perfidement et habilement rédigé, en vue d’exciter les colères et les haines
des travailleurs contre le capital ». Alfred Defuisseaux prend 12 mois pour
son Catéchisme du Peuple, Edouard Anseele 6 mois pour injures contre le Roi.
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Commune Paris 1871 |
La règle « non bis in idem » est un principe classique de la
procédure pénale, déjà connu du droit romain, d’après lequel nul ne peut être
poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits. La justice belge de 1886
n’en a cure : le 9 août 1886 Wagener affronte la cour d’Assises de Liège,
à coté de deux autres accusés, Ruttens et Billen. L’avocat général Delwaide
invoque l’article 125 du code pénal. Celui-ci vise « la dévastation, le
pillage, le massacre ». Les faits sont établis quant à l’intention.
Wagener, le principal instigateur, porte donc la responsabilité des morts de
Roux et des condamnations déjà infligées.
Wagener nie et reproche à l’accusation et aux témoins d’avoir dans ses
propos recherché les gros mots. Le jury formé de négociants, de banquiers, de
rentiers, de propriétaires, d’industriels retient « la provocation par
discours à la dévastation, au pillage, au massacre ». Malgré les circonstances
atténuantes dues à leurs bons antécédents, les accusés essuient 5 ans de
réclusion et 10 ans de mise à disposition de la police.
libellé comme suit:
ceux qui, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans les lieux
publics, soit par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques,
qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux
regards du public, auront provoqué directement à le commettre … « .
confirmée en Cour d’Assises de Namur le 21.12.1886.
et son compagnon Xavier Schmidt encoururent 20 ans de travaux forcés devant la
Cour d’Assises du Hainaut pour les journées tragiques de Charleroi.
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Marcinelle 1886 |
Ce texte est rédigé sur base de deux textes : René Van
Santbergen, une bourrasque sociale Liège 1886, Lg 1969). Rapport de Mr. Le Bourgmestre sur les grèves du mois de mai
dernier présenté en séance publique du Conseil Communal du 3 mai 1886 ; dans
le N°24 du « Musée Herstalien », p.11 à 23.