La ‘Loire à vélo’ de Briare à Châteauneuf
Cet été 2020 nous avons passé des vacances vélo dans le triangle d’eau de la Loire et le canal d’Orléans et de Briare. Ce blog-ci décrit la Loire à Vélo, entre Briare et Châteauneuf.
Briare et le complexe de canaux autour du pont-canal et le canal latéral.
Il y avait deux écluses (une sur chaque rive de la Loire, Mantelot et les Combles), implantées à 45 ° par rapport aux berges pour que les eaux du fleuve ne pénètrent pas dans les sas. En plus, les écluses avaient quatre paires de portes: normalement les bateaux descendent pour passer du canal au fleuve mais lorsque les eaux sont surabondantes, la chute s’inverse.
Trois épis submersibles dirigent les eaux de la Loire vers un chenal: l’épi de l’île d’Ousson long de 500 mètres
resserre les eaux vers la berge de droite et les oriente vers l’épi d’Ousson (1130 mètres) qui guide le flux vers l’écluse de Mantelot. Sur l’autre rive, l’épi de Châtillon, long de 650 mètres, rabat les eaux vers l’écluse des Combles.
Trois gares d’eau permettent le stationnement des bateaux lorsqu’ils ne peuvent effectuer la traversée immédiatement. Sur la rive gauche, la gare de Mantelot pouvait accueillir jusqu’à 150 bateaux. La gare des Combles sur la rive droite est beaucoup moins vaste car le trafic était moins important dans le sens Briare/Digoin. Un pont suspendu permettait aux haleurs de traverser la Loire.
De Briare à Gien
Le château est légué à la commune en 1987. Les Amis du château tentent en vain de le remettre en état. En 2015 le conseil municipal vend le château à Lancelot Guyot, qui, à seulement 25 ans, est déjà propriétaire de 3 châteaux. Sa société, Tous Au Château, y installe une collection de répliques de machines de guerre du Moyen Âge (dont un mangonneau, un couillard et une pierrière). Ce n’est pas ma tasse de thé, mais des goûts et couleurs je ne discute pas.
En arrivant à Gien, le panorama sur l’altier château et le pont est splendide.
Nous avons fait aussi Briare-Gien par l’autre rive, en collant au fleuve. Comme la D952 vers Gien s’avérait très fréquenté, nous avons bifurqué sur un chemin de campagne, à la sortie de Briare. Ce chemin nous a mené jusque Gien. Maintenant, comme il est non empierré, je le déconseillerais par temps humide.
Sully-sur-Loire
Sur la route de Gien à Sullly, il y a Lion-en-Sulias, le village des chaises. En 2018, histoire d’attirer les curieux dans ce village de 400 habitants et de faire venir les touristes qui empruntent la Loire à vélo, la municipalité a lancé l’idée de décorer une chaise et de le placer devant les maisons: chaise musicale, chaise à boire, à chat, à grenouille, à musique, à crocodiles ou à peluche… il y en a pour tous les goûts. J’ai vu cet été une initiative comparable dans la cité jardin d’Eisden, avec des bidons. Et un peu plus loin il y a le village aux boîtes aux lettres…
Sully était aussi surintendant des Finances, grand maître de l’Artillerie, surintendant des Bâtiments, et maréchal de France. Ce protestant avait échappé en 1572 au massacre de la Saint-Barthélemy. En 1593, après l’assassinat du roi Henri III, Sully conseille au futur Henri IV de se convertir au catholicisme, afin de pacifier le royaume. Il refuse lui-même d’abjurer, ce qui ne l’empêche pas de devenir un des principaux conseillers du roi pour qui il amasse un trésor, tout en diminuant les impôts. Il interdit par exemple la saisie des instruments de labour par le fisc. Il case ce trésor à la Bastille, ce qui lui vaut le titre de gouverneur de la Bastille en 1602. Il est écarté du pouvoir après l’assassinat d’Henri IV en 1610. Il s’attelle alors à la rédaction de ses mémoires. Il imprime les Œconomies royales en 395 exemplaires sur une presse typographique installée dans une tour du château de Sully.
Le passage du pont de Sully (et de la plupart des ponts sur la Loire) est une épreuve pour le cycliste. Mais il y a une alternative : un pont de chemin de fer de 1877 désaffecté
Les reliques de Saint Benoît
Une communauté de trente-deux moines y vit aujourd’hui. Mais les pèlerinages, c’est fini. Sauf pour les cyclistes. A la Révolution Française, l’Abbaye avait été vendue comme bien national et abandonnée. En 1803 la nef était devenue église paroissiale En1865, 3 moines s’installent au presbytère et prennent en charge la paroisse. Mais en 1881, puis de façon plus décisive en 1903, les religieux sont expulsés de France. Un moine vêtu en prêtre séculier peut y fonctionner comme vicaire jusqu’en 1928. La communauté peut acheter, dès 1935, une partie des terrains et y installer un groupe de frères. Fin 1944 treize moines reprennent l’observance monastique et entreprennent la reconstruction du monastère.
Ces reliques, c’est encore une autre histoire. Vers 660, les moines de Fleury vont chercher les restes de St Benoît au Mont-Cassin. On parle aujourd’hui de spoliation des biens culturels. Or, on n’invente rien. Au haut Moyen-Age s’assurer la possession d’un corps saint est de la spoliation aussi.
https://journals.openedition.org/crm/382 Ces reliques sont importantes: le patronage exercé par un saint est d’autant plus efficace que l’on a pu s’assurer la possession de son corps car « leur corps terrestre, rempli de Dieu de leur vivant, reste, après leur mort, imprégné de substance divine agissante, comme en témoignent les nombreux miracles dont leurs tombeaux sont le théâtre». L’abbaye du Mont-Cassin avait été fondée par Benoît de Nursie lui-même en 529. Mais en 589 l’abbaye avait été saccagée et brûlée par les Lombards. Les moines s’étaient réfugiés à Rome. Ceux de Saint Fleury en profitent.
Mais un siècle plus tard, le pape Zacharie demande à l’évêque de Rouen de reprendre les reliques de saint Benoît pour les restituer au Mont-Cassin.
Carloman, fils de Charles Martel, s’était fait moine au Mont-Cassin en 747. Le pape soutient la dynastie carolingienne. Mais le Saint lui-même intervient. Lorsque l’évêque de Rouen veut pénétrer dans la basilique il fut frappé de cécité. Et il apparut à l’abbé du Mont-Cassin: «il n’est pas permis de violer le temple de mon sépulcre ; c’est par la volonté de mon Dieu tout puissant que mes ossements reposent au lieu de Fleury».
Ce n’est qu’un début. Les Miracula sancti Benedicti, neuf livres écrits par cinq auteurs, tous moines de Fleury, entre le IXe et le XIIe siècles, racontent les interventions du saint. Des interventions pas toujours favorables aux moines : Saint Benoît avait même quitté Fleury pour manifester sa réprobation de la conduite irrégulière des moines. Mais vers 930, il fait sa rentrée solennelle au cours de la grande messe de la fête de la Translation.
Et voici qui peut intéresser les cyclistes qui s’arrêtent devant l’abbaye: un jeune chevalier avait confié son cheval et ses armes à saint Benoît avant de rentrer prier dans l’église. Ne les retrouvant pas en sortant, il se plaint : «ô très saint Benoît, tu n’es même pas capable de te faire le gardien d’un quadrupède ? Je ne partirai pas d’ici que tu ne m’aies restitué ce que j’ai perdu par suite de ta négligence. » Et le cheval ne tarda pas à revenir de lui-même. Et, plus fort encore, avec un clerc qui en entrant reçoit sur le front yeux la déjection d’un oiseau. Il jure : «Saint Benoît, je ne franchirai jamais plus, tant que je vivrai, les portes de ta basilique, si tu ne te manifestes pas comme juge de cette injure». Et aussitôt l’oiseau tomba mort.
Lorsque des pillards veulent s’emparer d’un troupeau de bovins « destiné à servir aux nécessités quotidiennes des frères», et l’un d’entre eux essaya de frapper de son épée une vache particulièrement grasse, son bras resta figé et il fallut que ses compagnons le conduisent devant les reliques de saint Benoît pour qu’il en retrouve l’usage ».
Il n’y a pas que les vaches. Les serfs qui vivent sur les terres de saint Benoît sont membres de la familia sancti Benedicti, et «un homme de condition servile qui refusait de payer le cens de la servitude voit son pouce replié sur ses autres doigts et demeure ainsi pendant quatre mois jusqu’à ce que, par l’intervention de saint Benoît, il soit miraculeusement guéri, gardant toutefois une cicatrice, témoignage perpétuel en avertissement au rebelle».
Lors d’un conflit qui opposa l’abbaye à l’évêque d’Orléans sur une vigne, les frères vont faire la vendange sous la protection des reliques. Par prudence ils n’emportent que les reliques des saints martyrs Maur et Frogent. Ainsi protégés par les reliques des saints que Benoît avait délégués, les moines vendangèrent sans être inquiétés.
Comme on voit, notre saint a un sens de justice aigue. Par pitié pour une pauvre veuve indigente, il intervint pour sauver de la pendaison son fils voleur. Suspendu depuis le lever du soleil jusqu’à la troisième heure il déclara n’avoir senti aucune lésion pendant tout le temps de sa suspension. Aussi comprit-on que c’était plus par indigence que par malice qu’il avait volé.
Le village des boites aux lettres
Nous n’avons pas fait le détour par St Martin-d’Abbat, le village des boites aux lettres, une initiative pour développer la convivialité dans ce village traversé par une départementale très fréquentée. Lion-en-Sulias, le village des chaises, doit un copyleft à Michel Lafeuille, le « papa des boîtes aux lettres » qui a lancé l’idée à la fin des années 1990. Aujourd’hui, sur les 700 foyers du village, plus de 200 arborent une boîte personnalisée. Un habitant retraité de France Télécom a choisi une authentique relique de cabine téléphonique. La famille Cucumel et sa paire de fesses ont joué avec leur nom. Idem pour les Lamour et leur boîte en forme de cœur. Les passions, comme l’accordéon, la plongée, la chasse ou encore les dessins animés fleurissent un peu partout Il y a aussi la boîte la plus grande, une œuvre de 5 mètres. Et il y en a une dans le cimetière réalisée par des
Chateauneuf-sur-Loire
La halle aux grains, près de l’église, était au départ un hangar à bateaux construit en 1844 dans le port de Châtillon-sur-Loire. Il n’a pas servi longtemps aux bateaux : il est remonté en 1854 près de Saint-Martial. Il ne reste rien du château médiéval, une résidence royale, appartenant aux Capétiens puis aux Valois. Après un long abandon le château est reconstruit – d’où Chateauneuf – par Louis Phélypeaux de La Vrillière, secrétaire d’Etat de Louis XIV. Le secrétaire nous a légué en 1686 un mausolée en marbre, dans l’église Saint-Martial, juste à côté.
En 1784, le château est agrandi par le duc de Penthièvre, petit-fils légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan. Cela n’impressionne l’architecte Benoist Lebrun qui, quelques années plus tard, détruit le château pour revendre les matériaux. La Révolution française aussi a connu sa phase de vandalisme.
Du château neuf il nous reste néanmoins une partie du corps principal de logis et les écuries, les pavillons d’entrée et l’orangerie. En 1925 l’hôtel de ville s’y installe et récemment le musée de la marine de Loire. Mais ce qui m’a impressionné le plus est le parc de 22 hectares.
«berceaux et tonnelles » en 1394. Le duc soutient Christine de Pizan qui, féministe avant la lettre, critique le Roman de la Rose de Jean de Meung. Son texte poétique, Dit de la Rose, composé en 1401, est le couronnement de cette Querelle où elle se met en scène, en tant que champion de la cause des femmes, dans une réunion tenue chez le duc Louis d’Orléans. L’Ordre de la Rose récompense les chevaliers défendant l’honneur des femmes.
Voici un petit extrait:
Le duc de Penthièvre aussi construit, pour abriter sa collection d’orangers l’orangerie toujours visible aujourd’hui. Lorsque sa belle-fille, la délicate princesse de Lamballe, se plaint de ne pas avoir de promenade ombragée de plain-pied avec son appartement, le duc fait chercher des tilleuls déjà âgés, qu’il fait planter dans la nuit, pour que la princesse découvre cette belle allée le lendemain matin. Elle existe toujours et porte le nom d’Allée de Lamballe. Sur le portrait de la princesse de Lamballe, au Musée de Versailles, une guirlande de ces roses Chevette orne sa coiffure, tandis qu’une autre est posée sur sa robe. L’horticulteur Chevet avait créé en 1780, une délicate rose rose, au parfum subtil, que la princesse adopte aussitôt. Du coup toutes les jeunes femmes de la Cour, Marie-Antoinette en tête, ne veulent pas d’autres roses que les « roses Chevettes »). Chevet va, pendant la Révolution, porter encore des bouquets à la Conciergerie, risquant ainsi sa tête…
Et même la fille de Benoist Lebrun qui avait démoli la majeure partie du château et laissé le beau parc à l’abandon, redonne vie au parc. La rose centifolia Eulalie Lebrun, une rose gallique panachée délicatement striée de rose,
de lilas et de blanc, a été dédiée à cette amoureuse des jardins en 1844 par JP Vibert. Ce rosier ancien non remontant est toujours commercialisé.
Et vers 1900 il y a le passionné de roses Albert Viger, sénateur-maire de Châteauneuf, plusieurs fois Ministre de l’Agriculture. Il est très proche de Jules Gravereaux , créateur de la roseraie de L’Haÿ-les-Roses et de Maurice de Vilmorin, propriétaire des Barres à Nogent-sur-Vernisson (voir mon blog ) et président de la section des Roses de la Société Nationale d’Horticulture Ce qui explique qu’une rose a été dédiée à « Madame Viger » : une grosse rose chou d’un rose tendre , 1er prix à l’Exposition Universelle de Paris en 1900.
Ce qui explique que le Jardin en bordure des douves du Parc est planté de rosiers. Pensez un peu à cette longue histoire en arpentant l’allée de rhododendrons et d’azalées arborescents, de magnolias géants et de tulipiers. Ceci dit : ne cherchez pas quand même trop loin. La structure du parc est contemporaine. N’oublions pas que, même en dehors de longues périodes d’abandon, la mode des jardins à l’anglaise a bouleversé complètement les schémas rigides des jardins dits à la Française. Et si vous descendez jusqu’à la Loire, sachez que la promenade du Chastaing est à l’origine un chemin de halage, rapidement devenu un lieu de promenade. Et ce n’est qu’en 2010 que le parc a été relié à la promenade à la Loire
A Chateauneuf nous traversons le pont et nous continuons sur la rive gauche. A quelques kilomètres, à Sigloy, au lieu-dit « La Tuilerie », il y a moyen de découvrir le fleuve sauvage, ses méandres, ses grèves, et son paysage si particulier à bord d’un bateau traditionnel. La totalité du territoire de Sigloy est zone inondable. Elle fait partie du val d’Orléans qui s’étend sur 33 km, protégé par la levée d’Orléans. Un peu plus loin est le déversoir de Jargeau, aménagé à la fin du xixe siècle à l’emplacement des brèches qui s’étaient produites en 1846, 1856 et 1866. Ce déversoir a été conçu initialement pour fonctionner au-delà de la cote de Loire de 6 m. Mais l’évolution morphologique du lit de la Loire, conséquence des ouvrages de navigation réalisés au xixe siècle et de l’extraction massive de matériaux après la deuxième guerre mondiale font que ce déversoir ne remplit plus sa fonction de protéger la levée d’Orléans des surverses. Les sections les plus spectaculaires de la ‘Loire à vélo’ sont ces levées. Mais pour cela il faut attendre mon blog suivant.