Le berceau de Charlemagne : à Aix, Düren, Prüm, Thionville, Saint Denis, Quierzy-sur-Oise, Gauting, Mürlenbach, Ingelheim, Jupille ou Herstal ?
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Pierre sur laquelle Charlemagne se serait assis. |
préparait la célébration des 1200 ans de la mort de Charlemagne qui aurait vu le jour à Herstal.
Pour notre député européen le calendrier ne tombe on ne peut mieux : les
élections européennes auront lieu en 2014 (ls 19 mars 2011).
suggèrent que le roi des francs serait plutôt né à Jupille, patrie de Willy
Demeyer. D’où mon petit conseil d’ami à Frédéric : n’insistez pas trop sur
Herstal, berceau de Charlemagne. Non seulement c’est une ineptie historique,
mais on va se mettre la moitié de l’Europe sur le dos qui revendique aussi ce
titre.
Herstal ou Liège, berceau de Charlemagne : une ineptie
historique
ignoré. Eginhard, qui fait partie du (très) petit cercle
d’érudits qui entoure Charlemagne, passe volontairement sous silence tout ce
qui a rapport à la première partie de la vie de son héros. Notre historien
Ferdinand Henaux (°Liège 1815 + 1880), à qui ont doit un
livre sur Charlemagne, éloigne le témoignage d’Éginhard, sous prétexte qu’en
paraissant ignorer le lieu de naissance de son maître, il n’a voulu que « jeter
un voile sur les débuts peu brillants et les faits peu honorables de sa
jeunesse, ainsi que sur les origines peu illustres de la famille royale,
famille de parvenus ». Ce n’est déjà pas un compliment pour Charlemagne. Et
c’est un pauvre argument pour éloigner le témoignage d’Éginhard.
moine de Saint-Gall, qui, dans le cadre la canonisation de Charlemagne lancé
par son empereur Fréderic Barberousse, recueille une foule de pieuses anecdotes dans «Les faits et gestes de Charlesle Grand, roi des Francs et empereur« . Les contes plaisants ou grotesque qui forment la matière de son livre ne
mériteraient guère de retenir notre attention si les plus graves érudits ne s’y
étaient laissés souvent prendre », dit Louis Halphen, l’un des grands historiens français du haut Moyen Âge (Louis Halphen, ÉTUDES CRITIQUES SUR L’HISTOIRE DE
CHARLEMAGNE. Le Moine de Saint-Gall, Revue Historique,T. 128, Fasc. 2,1918).
a été érigée là où il vit le jour, « in genitali solo». ‘Là où il vit le jour ‘. C’est une indication
qui pourrait situer la naissance à Aix. Henaux la situe hardiment à Liège, vu
l’absence de réclamations de la part des savants d’Aix, en exaltant de son mieux la douteuse autorité du
moine de Saint-Gall, « qui était encore environné de toutes les preuves
vivantes ».
souvenirs locaux pour prouver à partir de l’existence de nombreuses résidences
dans le pays liégeois des Pépins, la conclusion fort hasardée, que tous, et par
conséquent Charlemagne aussi, ont dû y voir le jour.
chroniques liégeoises fort récentes qui racontent entre autres que Charlemagne
a déclaré les Liégeois les plus nobles citoyens de ses États, et qu’il leur a
donné une bannière magnifique de satin blanc qui existait encore en 1660, il
prétend constater dans tous ces faits l’attachement filial de l’homme au sol
qui l’a vu naître, et par suite la nécessité de la naissance de Charlemagne
dans le pays liégeois.
Liège – Charlemagne après restauration |
que c’était « un manoir sombre et antique
que pouvaient chérir l’homme d’armes et le chasseur, mais non une femme jeune,
pieuse, aimant à être entourée de ses proches». Un « manoir sombre et
antique » : ce n’est pas une publicité pour Herstal. Pas besoin d’en
rajouter. Avec ce genre de ‘preuves’ Henaux arrive ainsi à la conclusion tant
désirée, que le berceau du grand empereur n’a pu être que dans la vieille cité
de Liège, dans le palais bâti par son aïeul Charles Martel!
Auguste Himly, un historien français spécialisé en histoire carolingienne, qui a publié en
1876 « Histoire de la formation territoriale des États de l’Europe
centrale ». L’Ulg reprend ce texte de Himly dans un blog « réflexions historico-folkloriques, sur les origines liégeoises deCharlemagne et ses accointances avec Tchantchès ». En effet, nos théâtres
de marionnettes voient déambuler côte à côte, Tchantchès, Nanesse, saint
Lambert et Charlemagne. Et les thèses de Henaux ne sont que
des réflexions historico-folkloriques
dignes d’un théâtre de marionnettes. Dans le domaine sportif, on enlève
rétroactivement le maillot jaune à un dopé. L’Ulg aurait peut-être intérêt,
pour maintenir son prestige, à faire de même avec Henaux ?
On ne va pas se mettre la moitié de l’Europe sur le dos pour
le berceau de Charlemagne…
ineptie historique ; mais avec ça on ne risque le ridicule, et le ridicule
ne tue pas. Ce qui est plus grave, c’est qu’on risque de se mettre la moitié de
l’Europe sur le dos. Plein d’autres villes revendiquent aussi le berceau de Charlemagne:
Aix, Düren, Prüm, Thionville, Saint
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Aula regia – reconstruction digitale |
Denis, Quierzy-sur-Oise, Gauting,
Mürlenbach, Ingelheim. Un certain Sebastian Münster situe en 1544 dans sa Cosmographia le Curtis Regis à Ingelheim, où
Charlemagne a construit son Aula Regia.
se base sur une biographie (Vita) de ses parents Pepin III et sa mère Bertrada.
Charlemagne et la mère, Bertrade de Laon, le 28 juillet 754, à l’abbaye royale
de Saint-Denis, par le pape Étienne II en personne.
sommes pas sortis de l’auberge non plus. A Herstal, nous avons une confrérie
des filles de Berthe, du prénom de la mère de Charlemagne. Berthe aurait habité
à la ferme Charlemagne (« Du temps que la reine Berthe filait »). Hélas, triple
hélas, Charlemagne a étéchercher sa Berthe à l’Est. Mürlenbach met en avant
son Bertradaburg. Pour eux, « les historiens modernes,
mais sérieux », retiennent plus volontiers maintenant les environs de
Prüm en Allemagne comme lieu de naissance du futur empereur. Près de cette
localité, une abbaye bénédictine avait été fondée en 721 par Bertrada de
Cologne qui était la grand-mère de Charlemagne, puisqu’il s’agissait de la mère
de Bertha (alias Berthe-aux-longs-pieds nommée aussi Bertrada la Jeune). Sa
famille possédait là-bas un bourg fortifié, appelé alors Bertradaburg,
aujourd’hui Mürlenbach. « Comme il
était d’usage qu’une femme se fasse aider par sa mère pour l’accouchement, il
est probable » que Berthe ait rejoint en 742 le manoir de sa mère
Bertrada – ou y séjournait déjà depuis qu’elle était enceinte – pour y donner
le jour à son fils aîné.
de Fréderic Barbarossa, situe la naissance de Charlemagne à Ingelheim – comme
par hasard lieu de résidence de son patron.
Il a aussi brouillé les pistes sur Berthe : dans un poème en latin il
parle de Berthe la hongroise. Elle ne serait donc pas originaire de Laon mais
de quelque part en Hongrie :
mater
monté sur le trône le vaillant Charles, né à Ingelheim, dont la mère était
Berthe la Hongroise).
hongroises qui revendiquent Berthe au grand pied, mais berthe est revendiqué en
Bavière.
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blason gauting |
d’ailleurs, que le berceau de Charlemagne se trouvait dans le moulin du village.
Ses armoiries portent d’ailleurs une roue de moulin d’argent surmonté d’une
couronne impériale. Et toujours dans le patrimoine immatériel, Gauting a une belle histoire à raconter.
Ecoutez moi ça :
sa fiancée Berthe à Freising. Mais le maréchal abandonne la fille dans la forêt
et présente au roi sa propre fille comme
jeune mariée. Berthe trouve refuge dans un
moulin. Des années plus tard, Pépin s’égare lors d’une chasse dans la forêt et arrive
à la maison du meunier. Il reconnaît sa fiancée qui portait toujours sa bague. Cette
nuit-là Charlemagne aurait été conçu. Et dans la foulée on te montre encore le
berceau dans le moulin ».
roi de Hongrie. Elle n’avait qu’un seul défaut: l’un de ses pieds était trop
grand. «Les pieds restent cachés sous les jupes», se dit le roi. «Qu’on amène
donc Berthe à Paris! » Pépin fit alors charger trente chevaux d’or et d’argent,
équipa une douzaine de chevaliers le plus richement du monde, et Berthe s’en alla vers la France. En route,
son cortège fit une halte chez le duc de Mayence, qui avait une fille, Alista,
qui ressemblait à Berthe comme une soeur. Sauf les pieds, qu’elle avait justement
très petits. Berthe était si
enchantée de sa nouvelle amie qu’elle proposa de
l’emmener avec elle en France. Arrivée à Paris, la
Gisant Bertrade à Saint-Denis |
princesse hongroise fit
cette proposition à sa nouvelle amie : «Chère Alista, que l’on te présente
au roi à ma place. Cela ne durera pas longtemps, et de toute façon les gens n’y
verront rien. Nous nous ressemblons tellement! » Alista accepta très
volontiers ; tellement qu’elle y prit goût et décida de remplacer sa
maîtresse pour toujours. Alista paya deux serviteurs, qui enlevèrent Berthe et
l’emmenèrent en secret dans la forêt la plus profonde. Là, ils avaient ordre de
la tuer. Mais ils n’en eurent pas le coeur, ils hésitèrent devant tant de
beauté. Ils l’abandonnèrent donc à son sort, et s’en retournèrent à Paris. La pauvre
Berthe erra longtemps dans la forêt obscure, et se nourrissait de fraises et de
framboises, jusqu’à ce qu’un jour, elle vit une petite chaumière où vivait le
charbonnier Simon, avec sa femme et ses deux filles. Berthe vécut neuf ans et
demi dans la cabane du charbonnier, et jamais elle ne trahit sa véritable
identité. La reine de Hongrie Blanchefleur était fortement inquiète de ne
recevoir de sa fille que de très brèves informations. Elle décida d’aller voir
Berthe en France. Alista se déclare malade. La reine se jeta sur la fausse
Berthe dans son lit, et se mit à caresser sa fille comme un bébé. Ce fut alors
qu’elle remarqua que celle qui était dans le lit avait bien le même visage que
Berthe, mais avait des petits pieds. Pépin le Bref se fâcha très fort. Il fit
rechercher Berthe, et il chercha lui-même. Un jour le hasard l’amène devant la
chaumière du charbonnier, où il vit une très belle jeune femme qui rapportait
une cruche d’eau de la fontaine. Et il remarqua aussi l’un de ses pieds était
chaussé d’un très grand sabot. Tout se termina très bien. Alista fut
honteusement chassée de Paris. Les deux serviteurs reçurent une bonne volée de
coups de bâton, mais ensuite le roi les récompensa richement parce qu’ils
n’avaient pas tué Berthe. Le charbonnier Simon fut élevé au rang de chevalier ».
que le récit de nos « Filles de Berthe » de la Préalle manque un peu de romantique : « Berthe au Long Pied est la fille du Comte Haribert II de Laon et de
Gisèle d’Aquitaine. Haribert II suivait Pépin le Bref dans ses déploiements
guerriers. De ce fait, il s’installa avec sa famille à la Préalle non loin du
château de Pépin le Bref, au moulin du Rida. C’est là que Berthe rencontra le
très jeune Pépin le Bref qui était venu se reposer au château entre deux
batailles, au moulin de la Préalle. Quelque temps après naquit Charlemagne.
Bien plus tard, Pépin épousa Berthe ».
on veut se faire entendre dans le concert des nations, il faudra rajouter
quelques lignes à ce récit austère. Dommage que Henaux n’est plus parmi nous :
il aurait bien fait la besogne.
conclure : évitons de nous prendre trop au sérieux dans cette affaire.
Invitons toutes les villes qui prétendent être le berceau de Charlemagne à un
grand tournoi de conteurs d’histoires. Qu’on donne un prix au meilleur conteur,
amuseur, anecdotier, auteur, fabuliste, farceur, hâbleur, menteur, narrateur,
narratrice, raconteur… Vous avez compris : il faut que tout le monde
gagne. Et qu’on en profite aussi, un peu –trop de sérieux tue – pour expliquer
pourquoi et comment ces ballades sont nées. Et ici on rentre dans le sérieux. Mais
ça sera le sujet d’un prochain blog.