En 2013  le Curtius a
hébergé l’expo: « Liège, cité docile ? ». Un mémorial installé dans
la cour Haymes de Bomal évoquait avec 733 stèles en béton le nom des juifs
liégeois déportés  par les nazis, avec
projection de leurs photos et leurs données biographiques, tandis
qu’une borne interactive permettait un accès à l’ensemble des
biographies.  Ce mémorial devrait, à terme, rejoindre le Mnema
(centre d’interprétation, de recherche et de documentation dans les anciens
bains et thermes de la Sauvenière) en 2014 ou 2015.  Joseph Bologne, premier bourgmestre socialiste
de Liège, s’est montré particulièrement zélé dans la persécution des juifs,
mais aussi des communistes. En 1941 Bologne avait transmis au Verwaltungschef de
Liège une liste de 180 militants communistes liégeois

Une expo basée sur un travail approfondi et engagé

Cette belle expo était basée sur un travail approfondi et
engagé de Thierry Rozenblum, petit-fils de déporté. La charpente de cet expo est
son livre « Une cité si ardente… – Les Juifs de Liège sous l’Occupation » (EDITIONS LUC PIRE, 2010). Dix années de recherche ! Son point de départ : les circonstances
dans lesquelles son grand-père avait été convoqué par l’Office liégeois du
travail, le 3 août 1942, puis déporté vers des camps de travail de l’organisation
Todt. A partir de là il a réussi à retracer le parcours de toute la population
juive de la région liégeoise de l’époque estimée à 2.560 personnes. 
http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=DMF20121210_016  >> Un mémorial installé dans la cour
Haymes de Bomal du Grand Curtius  évoquait avec 733 stèles en béton le nom
des juifs liégeois déportés  par les
nazis. Leurs photos et leurs données biographiques sont par ailleurs
projetées, tandis qu’une borne interactive permet un accès à l’ensemble
des biographies.  Ce mémorial devrait, à terme, rejoindre le Mnema
(centre d’interprétation, de recherche et de documentation dans les anciens
bains et thermes de la Sauvenière) en 2014 ou 2015.
Dans ces victimes Marjem Kempner-Rozen et sa fille Brandel
Grub-Kempner, gazées entre le 11 et le 19 août pour mettre leurs cadavres à la
disposition du ‘professeur’ Hirt. SS August Hirt, professeur de médecine est nommé en 1941 directeur de
l’Institut d’anatomie de la Reichsuniversität de Strasbourg. Dans le cadre de
ses études raciales, le professeur conçut le projet d’une collection de
squelettes juifs. Le Reichsführer Heinrich Himmler approuva. En septembre
1944,  à l’approche rapide des armées
alliées, les restes des 86 cadavres furent découverts dont Marjem Kempner et sa
fille.

Des complaisances coupables trop vite oubliées

Cette expo assignait la place qui leur revient aux
complaisances coupables trop vite oubliées. Elle analysait notamment l’attitude
de l’administration communale liégeoise qui a exécuté les mesures antijuives
promulguées par les Allemands. Mais elle montrait aussi l’ampleur des liens
clandestins noués avec les mouvements de résistance. Ce vaste maillage de
solidarité clandestine permit de sauver 70 % de la population juive de la
région liégeoise.

Une expo intéressante point de vue iconographie

Les stèles au Curtius – photo belgium4ever
Et pour terminer, c’était une expo intéressante point de vue
technique et iconographique, avec le Mémorial comme « porte d’entrée« . L’expo proprement
dite est basée sur des récits de vie et invite le visiteur à s’identifier
aux victimes. Elle le confronte avec la responsabilité (qui n’est pas
culpabilité) de chacun. Le sort de la population juive sert de révélateur du
comportement des diverses institutions, catégories professionnelles, sociales,
etc. Que ferais-tu dans de telles circonstances si tu étais fonctionnaire
communal, instituteur, curé, policier … ?
Cette expo est devenu itinérante après le Curtius pour et
devrait terminer comme expo permanente.

Pourquoi l’administration liégeoise et son bourgmestre ont-ils si
scrupuleusement exécuté les ordonnances antijuives ?

des photos de Liège sous l’occupation – phototbelgium4ever
Dans la préparation de cet expo, une question toujours plus
lancinante pour Thierry Rozenblum: « pourquoi
l’administration liégeoise et son bourgmestre ont-ils si scrupuleusement
exécuté les ordonnances antijuives promulguées par l’occupant, sans jamais
dénoncer leur caractère foncièrement contraire à la Constitution belge, alors
que dans le même temps ils ne cessaient d’invoquer cette même Constitution pour
faire obstruction, parfois avec succès, à quantité de mesures ordonnées par les
autorités allemandes ?
». Il 
découvre dans les archives de la ville une fiche de registre établie au
nom de son père alors âgé de 13 ans. « L’ordonnance
sur le registre des Juifs ne prévoyait les inscriptions que pour les adultes de
plus de 15 ans ! Et pourquoi les fonctionnaires ont-ils apposé, en regard des
noms de chaque chef de famille, le signe distinctif « J » à l’encre
rouge alors que cette disposition n’était prévue dans aucune ordonnance ?
Bologne communiquait aux autorités allemandes la copie des fichiers établis par
les communes du Grand Liège. Il dénonçait donc les Juifs. Et appliqua sans
atermoiement la politique antijuive des Allemands jusqu’à son propre renvoi. En
deux ans, il n’émit qu’une timide réserve. Pire : ses services dans bien des
cas sont allés bien au-delà des exigences de l’occupant
. »
Le 24 juin 1940, la chambre de commerce adresse à l’échevin
au ravitaillement « la liste des maisons
israélites et polonaises, liquidées ou en liquidation.
» Cette liste de 30
firmes est donc établie par l’administration communale liégeoise quatre mois
avant que les Allemands introduisent une législation antijuive en
Belgique !

Joseph Bologne, premier bourgmestre socialiste de Liège

Les élections communales de 1938 avaient mené à une
coalition tripartite : catholiques, libéraux, socialistes. Suite au décès
du bourgmestre libéral Xavier Neujean le 12 janvier 1940, la coalition s’était
donné pour la première fois de son histoire un bourgmestre socialiste en la
personne de Joseph Bologne. Les socialistes constituaient avec leurs 13 sièges
de loin le groupe le plus puissant du conseil communal. Les catholiques détenaient
9 sièges, les libéraux 7 sièges, les communistes 4 sièges et les rexistes 6
sièges. L’implication de l’administration communale liégeoise dans la
persécution des Juifs ne s’est évidemment pas limité au bourgmestre social-démocrate
Joseph Bologne. Mais le premier bourgmestre socialiste, cela veut quand
même  dire quelque chose pour un parti,
même si Bologne n’est qu’un second choix : le poste fut d’abord proposé à
Georges Truffaut (qui mobilisé dans l’armée belge déclina l’offre).  La mort de Neujean avait ouvert une mini-guerre de succession. Les socialistes
réclamaient la Violette ; les libéraux se targuent d’une très longue  tradition : depuis 1830, ils avaient toujours
occupé le poste. Finalement, les yeux s’étaient
Georges Truffaut

tournés vers Georges Truffaut.
Mobilisé depuis  septembre 1939, celui-ci
avait décliné la  proposition et avait soutenu
la candidature de son vieil ami Joseph Bologne (né en 1871, il a 69 ans…).

Bologne fut destitué en 1942 lors de la création du Grand-Liège:
une fusion obligée de 29 communes.
Il est remplacé par un bourgmestre rexiste désigné par les Allemands. Selon
Wikipedia ‘il entra dans la résistance et
fit partie du mouvement Wallonie libre
’. Il reprend sa charge de
bourgmestre après la Libération en octobre 1944. Il fut chargé de la
préparation du Congrès national wallon qui devait se tenir à Liège en octobre
1945. Il devait même en être le président.
Bologne assume à fond cette qualité de résistant.
Lors de l’élargissement, le 26 septembre 1945, du gouvernement Pierlot aux
communistes, Joseph Bologne vante le rôle glorieux de ‘sa’ Wallonie au cours de
l’occupation: «Seul Bruxelles a incarné
la résistance? Et cette Wallonie qui – nous en sommes fiers – a joué un rôle
glorieux au cours de l’occupation, vous nous avez méconnus, vous en subirez les
conséquences!
» A la base de son énervement, la composition du gouvernement
Pierlot qui comptait seulement 5 wallons sur les 18 ministres (5 flamands, 13
francophones).  Ce n’était même pas
contre les flamands. C’était contre les Bruxellois !

1945 inculpation de Joseph BOLOGNE

extrait de la liste de Schindler
Mais début 1945 il est relevé de ses fonctions et inculpé,
ensemble avec le procureur général à la cour d’appel de Liège Lambert Destexhe.
Le 7 mai 1941 Bologne avait transmis au Verwaltungschef (chef de
l’administration) Winkler une liste de 180 militants communistes liégeois.  Selon Bologne, il ne s’agissait ‘que’ des parlementaires,
conseillers provinciaux etc. dont de toute façon, l’identité et l’engagement
étaient connus. Ce n’est pas l’avis du militant communiste Marcel Baiwir, qui a
été arrêté sur base de cette liste: « Je reviens à cette grève de 1941.
Elle démarre à Cockerill, qui est la plus  grosse boîte du pays.
Herstal démarre aussi,
il y a cent mille grévistes à Liège en moins de huit jours.  Les Allemands savent que les communistes sont
à la base de la grève.  Ils n’ont plus
besoin de nous chercher, parce que le Procureur général,  Destexhe et le bourgmestre de Liège Bologne
(POB) ont répondu à la  demande des
Allemands : une liste de personnes susceptibles de troubler  l’ordre public est établie. En fait, le mois
qui suit la grande grève, le 22 juin pour être précis, les  Allemands entrent en URSS. C’est alors qu’ils
se dépêchent de venir nous  cueillir. En
demandant une liste, les Allemands préparaient une arrestation massive des
communistes.
Je suis sur la liste
ainsi que ma mère, mon oncle et un tas d’autres personnes. Nous ne l’avions pas
imaginé. Nous savions bien que Destexhe 
n’était pas prisé par les gens qu’il avait sous sa juridiction. Mais
tout de même…
Bologne lui est un
réformiste qui a été formé dans l’anti-communisme. Dans ces derniers moments,
le POB est devenu terriblement peureux et anti-communiste. A la sortie de la
Résistance, je suis fiché  sur une liste
noire du patronat. Je suis déjà sur une liste noire alors que  la guerre n’est pas finie. La liste
Bologne-Destexhe avait évidemment été  rendue
publique au lendemain de la Résistance et elle avait non seulement servi aux
Allemands mais elle servait désormais aux patrons ».
A l’époque, Baiwir n’est pas parlementaire ou conseiller
provincial, et encore moins sa mère ou son
oncle…
José Gotovitch – ill. cegesoma
Ca vaudrait la peine d’aller revoir les notules du procès
d’après-guerre contre Bologne. Nous avons juste retrouvé une petite précision de
José Gotovitch à propos de l’écrivain Alexis Curvers qui a milité dans le Comité de Vigilance antifasciste.  Gotovitch confirme qu’en 1941 Curvers était sur la liste de suspects établie par la brigade de sécurité de la police de Liège (Gotovitch, 1992: 27 y 140), et qu’il  aurait pu être déporté si Destexhe, d’accord avec Joseph Bologne, – dans un réflexe de caste, selon Gotovitch– n’aurait pas rayé son nom afin de ne communiquer aux allemands seulement les noms qu’ils auraient pu obtenir ‘par d’autres moyens’.
 Nous pouvons déduire de ceci qu’il y avait deux listes : une de la brigade de sécurité de la police, et une remis aux allemands après tri. Ca serait intéressant de comparer les deux, pour voir comment Bologne a interprété le principe de ‘renseignements qu’ils n’auraient pu obtenir par d’autres moyens’.
Le 22 juin 1941 voit donc l’arrestation de nombreux communistes, dont Julien Lahaut.  
Cette ‘liste de Bologne’ avait d’ailleurs eu un précédent!  Le 10 mai 1940, les autorités belges, sous les applaudissements du POB, avaient
déjà arrêté une série de militants communistes qui furent internés en France
aux côtés de divers individus que, par la suite, on appellerait des « inciviques ».
Bologne obtint finalement un non-lieu en 1946.

Maurice DELBOUILLE, bourgmestre de Chênée, démis pour son soutien à Henri
De Man

M. Delbouille
En 1947 BOLOGNE sort encore une brochure: « De quoi m’accuse-t-on ? » suite à
l’affaire Maurice DELBOUILLE, bourgmestre de Chênée de 1941 à 1970, qui avait
été coopté sénateur socialiste en 1946. La Libre Belgique avait publié une lettre de DELBOUILLE
adressée à Henri De Man de 1940, où il apportait son soutien aux théories du
président du POB sans déceler sa dérive fascisante. Maurice Delbouille est
contraint par la fédération liégeoise du PSB de rendre son mandat. Bologne se
rend-il compte que ce boomerang contre  Maurice Delbouille pourrait remettre sur les
devants de la scène politique son propre procès ? Toujours est-il que cette
affaire marqua selon l’Encyclopédie du Mouvement wallon ‘la fin de la carrière politique’ de Bologne. 
Henri De Man – photo UQAC
Le POB n’existait plus depuis la publication du Manifeste de Henri De Man, président du
POB, le 28 juin 1940, un mois et demi après l’ invasion de la Belgique par les
nazis où il annonce la dissolution du POB et demande aux militants socialistes
de collaborer avec l’ occupant. Ca serait intéressant d’analyser l’attitude des
autres partis devant ce groupe ‘le plus
puissant du conseil communal
’ qui s’était auto dissous et dont le parti
n’existait plus. Le PSB pourrait évidemment toujours invoquer que le 7 mai1941,
quand Bologne remet sa liste au Verwaltungschef, il agissait à titre individuel,  ou que l’appel de De Man était une initiative
individuelle qui n’engageait pas le parti. Ca serait un peu court.
C’est en tant que président du POB que De Man écrit dans son
Manifeste de juin 1940:
« La guerre a entraîné la débâcle du
régime parlementaire et de la ploutocratie capitaliste dans les prétendues
démocraties. Pour les classes laborieuses et pour le socialisme, cet
effondrement du monde décrépit loin d’ être un désastre, est une délivrance…
« .
L’ Historien Zeev Sternhell a raison d’ affirmer que le Manifeste ne
venait pas tomber du ciel. Déjà en 1930, lors de l’édition italienne de son
livre « Au – delà du marxisme,
rupture radicale avec le socialisme scientifique
« , Mussolini
enthousiaste écrivit à De Man: « Votre
critique du marxisme est bien plus pertinente que celle des réformistes
allemands ou italiens « . Dans sa réponse, De Man écrit :  » de suivre
jour par jour l’œuvre doctrinale et politique dont vous êtes l’ouvrier… Je ne
crains donc pas de rendre justice à certains aspects organisateurs de l’œuvre
fasciste.
 » De Man est élu président après cette déclaration…
Rappelons-nous que Maurice DELBOUILLE est contraint par la
fédération liégeoise du PSB de rendre son mandat suite à sa lettre à De Man de
1940 et où il apportait son soutien aux théories du président du POB.
Donc, le manifeste du 28 juin 1940 dissolvait le POB. Au
cours de l’été 1940 se crée Wallonie Libre que Bologne rejoint après sa
destitution en 1942. Ca vaudrait la peine d’approfondir un peu son attitude par
rapport à ce manifeste, voir, d’une manière générale par rapport à De Man entre
les deux guerres. Ce n’est pas parce que le ‘nouveau’ PSB s’est reconstitué
seulement en 1945 que son historiographie officielle peut faire l’impasse sur
ce ‘trou’.
Les stèles – photo L’avenir
Pourquoi ne pas envisager au Mnema d’évoquer cette liste
liégeoise de Schindler à côté des 733 stèles en béton le nom de victimes juives
de la région liégeoise, avec
données biographiques ? Une liste de Schindler négative,
qui ne sauve pas mais qui condamne ; voire des listes, puisqu’on pourrait
commencer par celle préparant les arrestations en 1940, puis celle des suspects
établie par la brigade de sécurité de la police de Liège ‘triée’ par le procureur
Destexhe et le maire Bologne. Celui qui ne connaît pas l’histoire est
condamné à la revivre. C’est Karl Marx qui l’a dit, et ça garde un
siècle et demi plus tard toute son actualité !

Biblio

A part les liens hypertexte voici les documents les plus
intéressants sur le sujet :
http://archive.indymedia.be/news/2004/01/79788.html
Gilbert Mottard Des administrations et des hommes dans la
tourmente: Liège, 1940-1945 Crédit communal, 1987 – 246 p.
http://www.cegesoma.be/docs/Invent/AdminLiege_AA1949.pdf
Documentation en vue de la rédaction de « Des administrations et des hommes
dans la tourmente. Liège 1940-1945 » par Gilbert MOTTARD

Brochure de Joseph BOLOGNE: « De quoi m’accuse-t-on
? »