Visite à Cheratte avec le Wohnbaugesellschaft
Troisdorf (Allemagne)

Je me suis assez impliqué dans l’enquête publique organisée à Visé
sur un permis d’urbanisme de la S.A. MATEXI PROJECTS sur le site des anciens
Charbonnages du Hasard de Cheratte. Ce n’est pas un Hasard ! Cela fera
presque 50 ans que je m’intéresse à Cheratte!

Je suis arrivé à Herstal en 1976, un an avant
la fermeture du Charbonnage du Hasard. Je suis ce qu’on appelle en France un
établi ; issu de la révolte de mai 68 je me suis établi en usine comme
ouvrier, à la fin de mes études.

Cette fermeture m’interpelle comme militant,
d’autant plus qu’une nouvelle crise s’installe dans la région, celle de la
sidérurgie. J’arrive malgré ça à me faire embaucher à Ferblatil, à une époque
où le ministre de l’économie Willy Claes menaçait Cockerill de faillite parce
que l’entreprise embauchait autant qu’elle prépensionnait.

Le site du Hasard connaît le même sort que la
plupart des charbonnages. Ces charbonnages qui prennent le statut de sociétés
en liquidation vendent tout ce qu’elles peuvent à n’importe quel prix. Le
Hasard est racheté par un ferrailleur limbourgeois  Armand Lowie, qui, paix à ses cendres, pille
tout ce qui n’est pas trop lourd et bloque impunément toute reconversion du
site. Ce qui ne l’empêche pas de donner une clef du cadenas du site à mon ami
Jacques Chevalier qui pendant des décennies essaye de faire vivre le souvenir
de ce site extraordinaire via son blog. Il n’est pas le seul : des
photographes urbex viennent de loin pour immortaliser ce décor extraordinaire.
Ils rentrent par les flancs de coteaux.

Je rentre très vite en contact avec Walthère
Franssen qui a travaillé à la petite Bacnure jusqu’à la fermeture et qui
s’implique très vite dans le sauvetage des documents de ces charbonnages qui
ont été abandonnés à tout vent. Il ramasse tout ce qu’il peut sauver. Ce qu’il
peut : concréèement cela veut dire ce qu’il arrive à stocker dans son
petit logement social où il vit avec ses cinq enfants. Walthère habite à 100
mètres de chez moi, à la Préalle, mais le contact se fait via Cockerill où il
est bobineur au Train à Larges Bandes de Chertal.

C’est ainsi que je m’intéresse au Hasard et sa
cité construite en 1925: 200 maisons familiales et un hôtel de 128 chambres
individuelles pour les célibataires. Dix ans avant la fermeture, il y avait un
laisser-aller de la part du charbonnage. Les habitants avaient déjà dénoncé
l’état de malpropreté et le non entretien des rues de leur cité. Heureusement,
la régionale d’habitations sociales de Visé reprit la gestion en 1977, restaura
quelques maisons et reconstruisit d’autres, avec une discrimination positive
pour les belges, vu la prédominance de familles d’anciens mineurs d’origine
turque. Le terme ‘patrimoine’ est bien pesé. On vient le visiter de loin.
En septembre 2018 je fais à trois reprises le
guide pour un car d’allemands dans le cadre d’une balade ‘team building’ d’une
société de logement de Troisdorf (les locataires, le personnel et les
fournisseurs). Le directeur qui avait étudié à Liège voulait montrer absolument
la cité minière. Voir le blog
http://hachhachhh.blogspot.com/2018/08/visite-aucharbonnage-du-hasard-cheratte.html

Mais n’anticipons
pas : j’apprends à connaître Cheratte via Jacques Chevalier et Walthère
Franssen.

Blegny ou Cheratte pour un centre touristique dédié à la mine

En 1978 la Région Wallonne veut créer un
centre touristique dédié à la mine et hésite entre Blegny-Mine et Cheratte.
Visé qui vient de fusionner avec Cheratte propose un aménagement du site avec
une visite à flanc de colline entre le puits principal et le puits de retour
d’air, le Belle Fleur. Visé trouve que Cheratte a une valeur patrimoniale
supérieure, par son importance économique, son architecture et sa cité. Le
charbonnage de Blegny-Trembleur avance comme atout son environnement vert, et
un embryon d’activité touristique par une asbl déjà expérimentée. Le 15
novembre 1978, Jean-Maurice Dehousse, 
Ministre de la Culture de la Communauté française, compétent en matière
de tourisme, choisit Blegny. Ce qui a pesé dans la décision est que Marcel Levaux, le bourgmestre de Cheratte, de 1970 jusqu’en 1976, date de la fusion des
communes, était député du Parti Communiste (de 1968 à 1981). Entré à l’âge de
15 ans dans la Résistance, il avait la veille du premier Mai 1944 hissé sur la
Belle Fleur un drapeau belge et un drapeau russe en hommage aux prisonniers qui
travaillaient dans la mine en bas. J’ai à plusieurs reprises croisé Marcel dans
sa vie militante et je me devais évidemment d’être
présent
en 2018 à l’
inauguration du square Marcel Levaux, en-dessous de cette Belle Fleur.

une veine de charbon apparente
à Sprockhovel (Ruhr)

La ville de Visé avait raison : Cheratte
a une valeur patrimoniale extraordinaire avec notamment la tour Malakoff,
classée depuis les années 1980. Lors de la guerre de Crimée de 1855 les
français avaient conquis une tour de ce nom. Ils ont célébré cette victoire en
construisant partout des «tours Malakoff ». Les allemands reprennent ce nom
pour des bâtiments industriels en briques, avant la percée du béton. En 2016 j’ai
été  voir dans le Ruhr (en vélo) ce que
les allemands font avec ces tours Malakoff et leur patrimoine minier  http://hachhachhh.blogspot.be/2016/12/la-sauvegarde-du-patrimoine-charbonnier.html

A part cette tour (au-dessus du puits n°1) Cheratte
avait deux autres puits d’extraction. Le second, de 1923, équipé d’une tour
métallique, a été démonté par le proprio ferrailleur. Ce M. Lowie avait acheté
aussi le château du XVIIe siècle du maître de fosse Gilles de Sarolea, et le
parc, pour 175.000 euros. Celui-ci avait acheté la Seigneurie de Cheratte (et
son titre de noblesse) en 1643. En 1913 le Charbonnage avait acquis le château
pour son hôpital.

M. Lowie laisse le château manger par le
mérule. Visé rêve pendant trente ans d’une rénovation et lance même en 2014,
après le décès de M. Lowie, un « Community Land Trust ». En vain :
les enfants du ferailleur bloquent et annulent même une vente publique en
dernière minute. Le château vient d’être racheté par
une société immobilière hollandaise qui entame des travaux de stabilisation en
plaçant des échafaudages intérieurs. Lors d’une rencontre avec le collège, les
hollandais disent vouloir en faire des  chambres d’hôtes. Ils font des travaux de
nettoyage au niveau du parc, ainsi qu’au débroussaillement des arbustes
poussant sur certaines parties du bâtiment. Visé l’aurait encouragé à accélérer
les travaux sous peine de devoir payer la taxe pour les immeubles inoccupés.

Restauration de la Belle-Fleur

En 1997, à l’occasion du vingtième anniversaire de la fermeture, la
Belle-Fleur est restaurée. Cette petite tour en béton armé du puits N°4 ou
puits Hoignée de 1927 avait servi à remonter les stériles à l’aide d’un treuil
de faible puissance; il s’arrêtait à la même hauteur que le carreau de la mine.
 Une galerie le reliait au puits N°1. La même
année l’asbl « Les Compagnons de la
Belle Fleur
 » et la Société Royale Archéo-Historique de Visé présentent
une expo à Cheratte.

Je suis prépensionné en 2003. Dans mon
troisième mi-temps j’organise mensuellement une balade-santé. Ces balades commentariées
me poussent à approfondir l’historique d’un site, mais aussi les aspects
urbanistiques et sociaux. En 2005, le cercle liégeois de photographes,
« Priorité à l’Ouverture », de Francis Cornerotte, monte une grosse exposition
photographique sur le charbonnage, au milieu d’autres événements patronnés par
des associations de Cheratte et par Jacques Chevalier. Francis organisera une
autre expo à l’occasion des  Journées du
Patrimoine, à l’ancien Musée de l’architecture, au théâtre Le Moderne, à
l’hôtel de ville de Liège et même au Centre culturel de Ganshoren.  

En 2007, 40ième anniversaire de la fermeture, le
Hasard est enfin inclus dans le programme de réhabilitation du gouvernement
wallon pour la salle des machines, le chevalement du puits no 4 et la colline
boisée. Il faudra encore attendre six ans pour un avis d’expropriation. La SPI
dépollue le site pour 2 millions d’euros. Les parties classées, la salle des
machines, la lampisterie et la salle de paye attenantes sont conservées au même
titre que la passerelle, mais tous les autres bâtiments sont démolis dont le
puits N°3 qui ne reçoit son chevalement en béton que dans les années 1950.

Le film « Enfants du Hasard »

Cela coïncide avec la sortie du film « Enfants du Hasard » de Thierry Michel
et Pascal Colson qui se plonge dans le quotidien des élèves d’une école de
Cheratte. Via la même école Franck Depaifve va à la recherche d’anciens mineurs
et monte une exposition de mémoire. Roméo Balancourt les photographie. La Centrale
Générale sponsorise une exposition ambulante basée sur leurs  photos. Google Arts & Culture et
Meta-Morphosis montent quatre expositions virtuelles du même Balancourt  et d’Axel Ruhomaully. Les deux sortent en
2016 un livre ‘Ceci n’est pas que du patrimoine’ où je suis repris dans les
anges-gardiens pour avoir assuré la traduction des textes en néerlandais. La
version en néerlandais n’a néanmoins pas (encore) trouvé d’éditeur.

C’est en 2016 aussi que « En Cie du
Sud » revisite « Les Fils de Hasard, Espérance et Bonne Fortune »,
héritiers du spectacle ‘Hasard, Espérance
et Bonne Fortune’
créé par le Théâtre de la Renaissance de Seraing en 1996.

Plus dans http://hachhachhh.blogspot.com/2018/08/visite-aucharbonnage-du-hasard-cheratte.html