L’armurier Gosuin, premier bourgmestre ‘moderne’ de Herstal
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maison Goswin Coronmeuse ill G. Michel |
Dans un autre blog j’ai fait l’historique de la
Révolution liégeoise (Binamêye revolucion) à partir de l’itinéraire d’une
figure marquante, l’armurier Gosuin, un capitaliste révolutionnaire qui
sacrifie tout pour renverser l’Ancien régime. Lors de la Restauration il voit
sa maison bombardé par les troupes autrichiennes et sa fortune expropriée. Gosuin,
un grand leader de la révolution liégeoise,
était aussi le premier bourgmestre de Herstal. Les Herstaliens
avaient même pris les ‘Cittains’ de court en démolissant la nuit avant la prise
de la Violette la maison du Receveur des domaines du Prince. Herstal a aussi sa
contre-révolution : les partisans de Hoensbroeck à Herstal demandent
aux Compagnies Bourgeoises de prendre les armes. Mais confrontés à la situation
révolutionnaire à Liège ils laissent vite tomber.
peut se demander ce que Wiki comprend
sous ce terme ‘sens moderne’. Courard a été bourgmestre de 1802 à 1829. Est-on
rentré dans la modernité en 1802 ? Qu’y a-t-il eu en 1802 ? Le sacre
de Napoléon comme sacré empereur des Français ? Mais Napoléon était au
pouvoir depuis 1799. Napoléon Bonaparte à légalisé l’esclavage en 1802 :
ce n’est pas spécialement une entrée dans la modernité.
révolution liégeoise a mis fin à
l’Ancien Régime? Ceci dit, je veux quand
même relativiser le titre de’ premier bourgmestre de Herstal’. Gosuin avait été
élu ‘Mambour’. Nous verrons plus loin l’ambiguité de ce titre. Et il avait trop
d’autres chats à fouetter pour être très présent à Herstal.
Gosuin bourgeois de Herstal.
Coronmeuse où il construit la Maison Goswin. Il acquiert ainsi le titre de
bourgeois de Herstal. Ca lui servira après la restauration à récupérer ses
biens confisqués en invoquant sa qualité de Bourgeois de la Terre du Brabant (en
situant Coronmeuse à Souverain Wandre !).
vannier. Il s’essaya après à la clouterie, avant de s’attaquer au commerce des
armes, par un mariage en 1764 avec une veuve qui avait un négoce d’armes. En
1776 notre humble vannier fait partie du bon Mestier des Febvres et des
notables de la Cité. Il détenait une fabrique d’armes importante sur le Quai
Saint Léonard.
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ill arch du travail |
Princes-Evêques avaient essayé de dissoudre les métiers jusqu’au moment où ils
se sont rendus compte que tous ces ‘bons Métiers’ n’avaient que des dettes. Ils
essayent de rentrer dans leurs frais en vendant plus cher la charge de certaines
fonctions. La vénalité des offices fut d’ailleurs reconnue légalement en 1741.
Le mal n’en devint que plus grand, puisque les titulaires n’avaient rien de
plus empressé que de rentrer dans leurs débours. C’est donc dans ce contexte
que Gosuin s’achète une fonction dans le Mestier des Febvres. En 1786 il achète
même une dispense d’âge au Prince-Évêque Hoensbroeck pour une charge de greffier
dans le même Métier pour son fils.
gens comme Gosuin avaient contribué à ronger les Métiers au niveau économique.
Pour se libérer des contraintes des métiers, les armuriers s’étaient installés
à la campagne. Des platineries et forage
de canons de fusils s’installaient le long des cours d’eau. Une de ces usines
construite en 1547 à Chaudfontaine est transformée en 1803 en usine à canons
par Gosuin. A cette époque Gosuin dirige l’une des plus grandes fabriques
d’armes, qui allait révolutionner toute cette branche industrielle.
formes politiques féodales du moyen âge, pour lesquelles cette production, –
non seulement la manufacture, mais même l’artisanat, – était depuis longtemps
devenue trop grande : prisonnière des mille privilèges corporatifs et des
barrières douanières locales et provinciales, transformés en simples brimades
et entraves de la production. La révolution de la bourgeoisie y mit fin, en
jetant de côté le vieux bric-à-brac politique pourri et en créant des conditions
politiques dans lesquelles le nouvel “ état économique ” pouvait
subsister et se développer ».
métallo’s, Gosuin était encore prisonnier d’une forme politique féodale. Est-il
devenu révolutionnaire parce qu’armurier ? Il a en tout cas très vite
compris qu’un régime pourri ne tombe jamais seul, mais qu’il faut le renverser
par les armes. Or, il fabriquait des armes, et il cotise des gens qui
maitrisent leur maniement. Un de ses
meilleurs amis était Jean-Pierre Ransonnet. Dès 1787 celui-ci proposait de
régler à sa façon le sort du prince-évêque : «Des procès! des enquêtes!
C’est la guerre des lâches. Qu’on abandonne les plaideurs à leurs rêveries, ce
sont des armes rouillées.» Les «bonnes armes » se trouvaient chez son ami
Gosuin. Et sa révolution va développer un nouvel “ état
économique ” où il écrase tous les armuriers liégeois, au point où en 1801
le maire de Herstal l’accusera de ruiner l’industrie herstalienne. Mais
n’anticipons pas…
Gosuin proclamé Mambour
aux citoyens : «L’abandon de l’exonération fiscale du Clergé ne soulagera
pas la classe pauvre soumise aux taxes de consommation. C’est la constitution
même du Pays qui est à réformer». Le lendemain l’armurier Gosuin s’empare à la
tête de ses ouvriers de l’hôtel de ville de Liège et est proclamé Mambour. En
même temps, son ami Jean-Pierre Ransonnet s’empare
de la Citadelle.
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Ill F. Muller carte ferraris 1775 |
Selon notre historien local Pierre Baré, la
nuit avant les Herstaliens ont pris les ‘Cittains’ de court en démolissant le
Comptoir de Herstal, la maison du Receveur des domaines du Prince. Le gros des
émeutiers venaient de la Préalle. En 1791, lors de la Restauration, on déclarera
que « quantités de personnes de la Préalle, tous armés de fusils, de
sabres, de fourches se sont assemblées pour démettre les Bourgemestres »
(cour justice Herstal séance juillet 1791 ; cité dans Baré, p. 85).
bourgmestres Jean Gosuin, qui venait d’être proclamé mambour de la ville, et
Michel Arnould. La Justice du Prince-Eveque signifie à la ‘ligue armée’ que
s’ils osaient encore imposer aux Herstaliens les décrets de Liège, qui
n’avaient jamais eu aucune jurisdiction dans la Seigneurie de Herstal, ils se
verraient dans l’obligation de recourir aux armes. La « Révolution
Liégeoise » ? Cela se passait à l’étranger, en dehors des Terres du
Brabant! Il est vrai que le règlement de
l’affaire de Herstal entre Fredéric le Grand de Prusse et le Prince
Eveque datait de 1740 et pouvait donc cinquante ans après être bien présent
dans des têtes un peu rigides et obtuses.
Hoensbroeck contremanifestent et demandent aux Compagnies Bourgeoises de
prendre les armes. Mais confrontés à la situation révolutionnaire à Liège ils
chantent vite un ton plus bas. Ces ergotages sur cette jurisdiction moyenâgeuse
de la Seigneurie de Herstal n’impressionnent pas énormément des Préalliens armés
de fusils et de sabres. Comme le disait un grand révolutionnaire russe :
« Une révolution est à coup sûr, la chose la plus autoritaire qui soit.
C’est un acte par lequel une partie de la population impose à l’autre partie sa
volonté à coup de fusils, de baïonnettes et de canons, moyens autoritaires,
s’il en fut ». Et à ce moment les compagnies Bourgeoises du ne
faisaient pas le poids.
Deux chansons en dialecte traduisent l’enthousiasme du peuple devant ces
conquêtes :
po sut’ni nosse bone vèye,
po l’ ricompinser d’ sès binfêts,
on l’ fit mambôr dè l’ vèye; Monsieur Gosuin, qui avait tant fait
pour soutenir notre bonne ville,
pour le récompenser de ses bienfaits,
on le fit mambour de la cité (Tchanson lîdjwèse so l’ Rèvolucion d’ Lîdje)
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herstal Licourt |
Le 27 août Hoensbroeck se réfugie à Trêves. Il
appelle à l’aide son Empereur Joseph II. Mais celui-ci a d’autres chats à
fouetter. Cinq jours après la fuite de
Prince, Gosuin se présenta à la « Maison Magistrale » sur la Licourt.
Un groupe armé d’épées et de fusils se rend chez François-Lambert Bouille,
symbole de l’ancien régime, qui fut prié de remettre à Gosuin les clefs
magistrales. Notre armurier réédite ainsi son coup du 18 août à Liège. Gosuin,
en sa qualité de Mambour de la Cité et de fabricant d’armes, ne fut que très
peu présent à Herstal. Le second bourgmestre révolutionnaire de Herstal, Michel
Arnould, avait difficile de contrôler la situation (Pierre Baré p.122).
septembre la Chambre impériale ordonnait « d’envoyer des troupes à Liège,
de casser ce qui s’y était fait et de rétablir les magistrats dépossédés« .
Mais il y a une grande désunion entre les rois, princes, ducs et archevêques
allemands. Le roi de Prusse qui est censé diriger l’expédition punitive déclarait
prendre seulement le rôle de médiateur.
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Eglise Vottem |
Pour situer un peu l’atmosphère révolutionnaire, voici l’affaire du curé de Vottem. Le 22 septembre 1789,
Léonard Croisier, greffier à la Cour de justice, arrêta le curé de Vottem, pendant la nuit, dans le presbytère, le
garrota et le conduisit tambour battant
et drapeau déployé, à Liège, et le mit en prison. Puis, rentré au village, Croisier fit
planter une potence pour y pendre le
prêtre s’il revenait (ialg p.168). Le curé
François Laixheau eut soin de rester à Liège et d’en référer au Tribunal des XXII du Prince. Mal lui en prit car, le 19 avril
1790, les patriotes l’arrêtèrent à
nouveau, le conduisirent à l’hôtel de
ville et, finalement, allèrent l’attacher au carcan du pont d’Ile où il resta pendant six heures, exposé aux
insultes et aux tortures. Etant parvenu à s’enfuir, il quitta le pays le soir
même.
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Breughel le jeune- La Dime- Louvre |
Fin novembre 1789 un corps de 4000 Prussiens
et de 1000 Palatins envahit néanmoins « pacifiquement » le Pays de
Liège. Mais Hoensbroeck refuse d’accepter les vues conciliatrices du roi de
Prusse. En réaction Von Schlieffen évacua Liège avec ses troupes. Cela
encourage le peuple à refuser de payer les dîmes, une taxe clef de l’Ancien
Régime. En février 1790 les surcéans’ de
Vivegnis par exemple refusent de payer la petite et la grosse dîme: « la
petite disme est un abus qui s’est glissé dans des temps d’ignorance Celle-ci
n’a jamais été établie ni par le droit divin ni par le droit commun ». Les
Liégeois proclament le 17 avril, six mois après la révolution, la déchéance de
Hoensbroeck.
Des francs-tireurs commandés par Ransonnet
Prusse, et insiste sur sa tâche exécutrice. À Liège on pressa la mise sur pied
de la défense nationale. Les milliers de volontaires et francs-tireurs étaient commandés
par Ransonnet. Pour la plupart des historiens il est douteux qu’on ait jamais pu réunir plus
de 5.000 hommes armés sur le théâtre des opérations. Mais si la valeur
militaire de ces volontaires était limitée, elle était néanmoins à la hauteur
de leur adversaire: les troupes du Cercle de Westphalie arrivent à peine à concentrer
4.500 hommes le 23 mai 1790.
troupes exécutrices s’immobilisèrent une fois de plus. À la mi-juillet 1790 des
francs-tireurs liégeois semèrent la
panique à Aix. Le 8 août 1790 l’armée liégeoise remporta la victoire de
Sutendael.
étant mort à Vienne le 20 février 1790, son successeur Léopold II s’entend avec
la Prusse et la Russie pour un second partage de la Pologne, si la Prusse
consentait à abandonner les Belges et les Liégeois. Petit à petit les instances
de l’Ancien Régime reviennent et reprennent leurs fonctions.
patrouillaient sur le rive droite, ouvrent le feu sur Coronmeuse et la demeure
de Jean Gosuin, qui se mit à l’abri dans sa demeure, quand une grêle de balles
firent éclater vitres, boiseries et tuiles. Le bourgmestre Bouille – le même qui l’année
avant avait remis à Gosuin les clefs magistrales – s’adresse aux Autrichiens en
ces termes : « eu égard à la stricte neutralité que doit observer le
dit village envers les deux partis, pour se soustraire au fléau d’une guerre
qui lui est TOUT A FAIT ETRANGERE ose espérer que vous daignerez apporter les
remèdes les plus prompts … pour leur tranquilleté » (Baré p.155).
à Bruxelles, ce qui signifiait la défaite de la « révolution »
brabançonne. L’Autriche avait désormais les mains libres pour s’occuper de
Liège. Les principaux chefs révolutionnaires quittèrent Liège avec quelques
centaines de Volontaires: ils allèrent en France. Le lendemain 12, les Kaiserlicks entraient
à Liège. Gosuin se réfugie à Bruxelles.
Bertho chante en Notre-Dame de la Licourt la messe en actions de grâces
préconisée par l’Eveque pour son ‘heureux retour’, suivi d’un ‘Te Deum en
musique’ l’après midi (Baré p.165).
des fugitifs et procède à ‘l’inquisition contre les auteurs de la rébellion’,
dont le mambour Gosuin.
1795 par un carme déchaussé, traduit bien la haine de la réaction.
colêye,
qwand vos brèyîz à l’ mâle djoûrnêye :
»Vîve Tchèstrèt, Lassince èt Fâbrî,
Cologne, Bassindje èt Dj’han l’ banslî !»
Vos-ârîz bin mîs fêt dè brêre
qui l’ diâle lès hièrtchahe èn-infêr,
qu’avou sès grifes è trô d’ leû cou
i fîhe moussî dè plonk fondou !
Que n’aviez-vous tous de la chaux coulée dans vos gueules
quand vous criiez lors de la mauvaise journée (du 18 août)
«Vive Chestret, Lassence et Fabry
Cologne, Bassenge et Jean le vannier (= Gosuin)!»
Vous auriez bien mieux fait de crier
que le diable les traîne en enfer,
qu’avec ses griffes, dans le trou de leur cul,
il fasse entrer du plomb fondu!
La Haute Justice de Liège donne ordre d’opérer
les ‘Grands Commands’ sur les possessions de Jean Gosuin dans la jurisdiction
de Herstal. Mais deux semaines plus tard les enfants Gosuin-Decarme, installés
comme ‘négociantes’ en armes au « Kay Saint Léonard » déposent
plainte et opposition : « Tous meubles quelconcques et tout ce qui se
trouve dans la ditte maison sont à eux appartenantes ». Dès la fuite du
paternel à Bruxelles, les enfants s’étaient constitués en société sous la
dénomination de « Jean-Joseph Gosuin fils & sœurs ». En plus, les
huissiers découvrent un stock considérable d’armes, mais selon les Gosuin
celles-ci étaient destinées à un certain Van Schoor, négociant à Bruxelles.
La transaction de 100.000 florins était effectivement hypothèquée sur une
partie des biens de Jean Gosuin. Dans un
premier temps, la Commission Impériale ne se montre pas très impressionnée par
ses explications et saisit les biens de Gosuin.
enfants devant le mayeur de Bruxelles. Là non plus la Justice de la Cité ne
veut abdiquer. Mais Gosuin n’était pas né de la dernière pluie. Cette
émancipation est en effet le début d’une manœuvre juridique pour faire arriver
ce litige à la Justice du Brabant. Gosuin invoque sa qualité de Bourgeois de la
Terre du Brabant, en insinuant même que ses biens confisqués à Coronmeuse étaient
sis à « Herstal-Wandre ». Les avocats n’avaient pas oublié en
quelques années de temps les chicanes possibles et imaginables à partir de
cette vieille affaire de l’échange de Herstal qui remontait à 1546.
de la « Bulle d’Or » contre le Procureur Général de Liège. Cette
bulle date de 1356 ! Tous ces arguments
auraient probablement été balayés sans problème au niveau juridique, si Gosuin
n’avait pas eu des protecteurs haut placés, en la personne du Comte de
Metternich. Je reviendrai dans un autre blog sur cet ‘exil’ de Gosuin à
Bruxelles, alors que la plupart des révolutionnaires Liégeois sont partis en
France. Il se retrouvait finalement sous la protection de l’Empereur Léopold
II, le même qu’il avait combattu à Liège ! Mais, à mon avis, l’Empire,
après avoir battu la révolution brabançonne, devait s’appuyer dans les Pays Bas
Autrichiens sur la bourgeoisie, contre les Vandernootistes qui représentaient
tout ce qui était réactionnaire.
déclare de nulle valeur les saisies. Le nouveau Prince Eveque de Méan réplique
en affichant un « Edit Protestatoire » dans la localité de Herstal et
transmit même ses plaintes au Gouvernement des Pays Bas (Baré p. 176).
plus importante des grandes journées révolutionnaires. qui consomme la chute de
la monarchie constitutionnelle. Prussiens et Autrichiens envahirent la
frontière française. Dumouriez contrattaque et remporta la victoire de Jemappes.
Nous retrouverons Gosuin, comme commissaire de la Convention nationale, le 4
décembre 1792 en Outremeuse, où il fonda la Société des Sans-Culottes. Fin 1792
commmence une nouvelle phase: une révolution vraiment bourgeoise en tant que département de l’Ourte dans le cadre de la République française. « Jean
Gosuin installe en 1799 une
manufacture d’armes de guerre rue Saint Léonard. En 1801, il reçoit le monopole de fabrication
du gouvernement français. Rapidement, il met la main sur le réseau des
armuriers à domicile et il dicte sa loi aux autres marchands-fabricants. Le maire
de Herstal l’accuse ouvertement en 1801 d’être la cause de la ruine de
l’industrie herstalienne et de la misère qui accable ses citoyens » (René Leboutte Reconversions de la main-d’oeuvre et transition
démographique). Je développe ça
plus en détail dans un autre blog.