Léonard Defrance sur les broyeurs de couleurs : pionnier des maladies professionnelles
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général du peuple liégeois » de
Léonard Defrance est en quelque sorte le
signal de départ de la Révolution liégeoise de 1789. Mais notre peintre
révolutionnaire avait aussi une sensibilité sociale très développée. Entre son
« Cri général » et le sac de l’imprimerie de son journal «L’avant-coureur» en 1789 par
des hommes du Prince-Evêque Hoensbroeck, il trouve le temps de rédiger un
mémoire très fouillé sur les broyeurs de couleurs, et les maladies résultant de
l’insalubrité de leur travail. Et devient ainsi un précurseur dans la prévention des maladies professionnelles.
désert, puisque la révolution qu’il veut
de tout son âme abolira aussi le peu de protection que l’ouvrier avait sous l’Ancien
Régime. Le travailleur se trouvera sans défense – au moins dans un premier
temps – devant le patron capitaliste.
Un mémoire « sur
la question proposée par l’Académie Royale des Sciences de Paris, touchant les
broyeurs de couleurs »
bienheureuse révolution – à un concours de l’Académie Royale des Sciences de
Paris sur les broyeurs de couleurs, ces ouvriers qui préparent les pigments
destinés à la peinture. Il distingue trois catégories :
- Ceux qui travaillent du matin au soir chez les
marchands de couleurs, - ceux qui travaillent directement avec les
peintres en bâtiment et préparent les couleurs et les quantités nécessaires à
leurs travaux, - et les artistes qui préparent les couleurs
pour leurs tableaux.
sont une molette en pierre dure pour réduire les pigments en poudre, une pierre
plate, la plus lisse possible, sur laquelle travailler la couleur à l’eau ou à
l’huile et un couteau pour ramasser la pâte. Le broyeur de couleurs penché sur
sa pierre court constamment le risque d’inhaler des poussières et des
substances toxiques comme le plomb, la céruse ou l’arsenic qui étaient alors
contenus dans les différents pigments. Defrance donne une description
méticuleuse de nombreux pigments, des huiles et des vernis, de la préparation
des toiles et des panneaux. Son mémoire est un tableau minutieux du métier, un
traité des maladies professionnelles, et un recueil de moyens pour préserver la
santé.
pour la prévention va être balayé par la révolution bourgeoise qui suit.
En 1782 déjà, un prix pour préserver les ouvriers des travaux
dangereux
Ce débat sur la santé au travail émerge
à la fin de l’Ancien Régime. Les ouvriers et les artisans commencent à être reconnus
comme des victimes de l’activité économique. Dans les années 1770, le problème
des maladies des artisans fait l’objet d’un débat dans les sphères médicales
parisiennes, dans les académies, enfin dans l’opinion publique. Cette
préoccupation s’explique par l’aggravation des conditions de travail de
quelques secteurs artisanaux parisiens.
puis de la Société royale de médecine en 1776, enfin la traduction en 1777 de
l’Essai sur les maladies des artisans écrit par Ramazzini en 1700, créent un
contexte favorable à la description et l’interprétation des principales
affections sanitaires subies dans le monde du travail. La Gazette de santé
indique en 1773, dans la préface de son premier numéro, qu’elle n’oubliera pas
« les malheureux ouvriers, dont la santé
est si souvent altérée ». La Société royale de médecine étudie les maladies
des artisans par à partir d’un recensement des professions pouvant être
nuisibles.
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J-B de Montyon |
Montyon, l’Académie des sciences propose à partir de 1782 des prix récompensant
l’auteur qui trouverait les moyens de préserver les ouvriers des dangers auxquels les exposent leurs différents
travaux. Le philanthrope Montyon participe aux « Recherches et considérations
sur la population » (1778), dont un chapitre est consacré aux «métiers
destructeurs de l’espèce humaine». Ce livre suggère une politique publique
financée par un impôt taxant le «luxe homicide» – un piste toujours intéressante en 2013 – et conclut son
chapitre sur la nécessité d’une intervention de l’État pour « s’occuper d’un objet auquel personne ne fait
attention, parce qu’il est étranger à
tout intérêt particulier: la conservation des hommes».
d’ouvriers ne soit une liste de victimes. Souvent la nature des travaux
occasionne des morts violentes ou des accidents
funestes. Quel triste résultat de l’industrie !
Nos bâtiments sont cimentés avec du sang, nos vêtements en sont teints,
nos plaisirs en sont infectés ; il n’est point de jour où la richesse n’ordonne
des meurtres: et la vie humaine est mise à prix comme un effet commerçable ».
un médecin de l’hôpital de la Charité s’alarme de la quantité de
peintres ou de broyeurs de couleur,
victimes de coliques de plomb dues à la céruse et au minium.
sciences propose un prix sur le broyage des couleurs, qui met en suspension des
poussières d’oxydes métalliques (de
plomb, de cuivre ou de mercure) et de sulfure d’arsenic, et provoque chez le peintre des paralysies, des
tremblements, des coliques mortelles.
Royale des Sciences de Paris, touchant les broyeurs de couleurs » sera
un chant de cygne. La révolution
bourgeoise crée une situation où plus que jamais « la vie humaine est mise à prix comme un effet commerçable » :
la force de travail devient une marchandise.
spectaculaire: le durcissement de la réglementation
corps de l’ouvrier, qui n’est plus qu’un rouage d’une première
industrialisation encouragée par les pouvoirs publics. En 1791, les grandes
institutions de contrôle et d’encadrement de l’économie (communautés d’arts et métiers, inspection
des manufactures) sont abolies, libérant les industriels de contraintes qui les
lient à leurs ouvriers, sans contrepartie législative relative à la santé
publique.
1791, sous la direction du médecin
parisien Guillotin, propose en 1791 de voter un décret portant création d’agences de secours et
de salubrité, dont l’une des missions aurait été de définir « les précautions à introduire pour la
conservation des ouvriers».
« les délits de même genre seront punis par les mêmes genres de peines, quels
que soient le rang du coupable. » Il demanda que « la décapitation fût le seul
supplice adopté et qu’on cherchât une machine qui pût être substituée à la main
du bourreau. » L’utilisation d’un appareil mécanique lui paraît une garantie
d’égalité. Jusqu’alors, l’exécution différait selon le rang social: les nobles
étaient décapités au sabre, les roturiers à la hache, les régicides écartelés,
les hérétiques brûlés, les voleurs roués ou pendus, les faux-monnayeurs
bouillis vifs dans un chaudron. On attribue son nom à cette machine, qui
existait pourtant depuis le XVIe siècle. Sous le Consulat, il installe encore le
premier programme cohérent de santé publique en France).
sanitaire de manière globale et cohérente. La politique sanitaire
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J-A Chaptal |
envers le
monde de travail relève de l’assistance
ou de l’urgence. Chaptal est ministre de l’Intérieur dès 1799. Il est aussi entrepreneur
d’une nouvelle fabrique de produits chimiques à Neuilly. Dans son rapport sur les établissements industriels insalubres
présenté à l’Institut en 1804, il se montre indifférent à la souffrance
ouvrière. L’odeur qui se dégage des
ateliers de l’industrie chimique « ne présente aucun danger pour les ouvriers qui la respirent journellement». Par
ailleurs, et « heureusement», les
effets pernicieux des usines les plus insalubres « n’affectent que les ouvriers
qui travaillent dans l’atelier». Et ce problème est d’ordre privé car «tout y est, pour ainsi dire, aux risques et
périls des entrepreneurs et fabricants ». Pour Chaptal, la santé du
travailleur concerne donc avant tout l’entrepreneur, qui a intérêt à conserver
son personnel en bonne santé.
Biblio
Defrance sur les broyeurs de couleurs. http://www.i6doc.com/livre/?GCOI=28001100818710
Léonard Defrance, Les broyeurs de couleurs, leur métier et leurs maladies
Philippe TOMSIN Céfal • Histoire d’une région.
suivi, commencé avec une thèse annexe de son doctorat en 1996 : ‘Une
lettre d’Henkart à propos d’un tableau de Léonard Defrance’, et un mémoire: ‘Le
contexte technique dans quelques tableaux de Léonard Defrance, peintre témoin
de la technologie de son temps’ dans le cadre de sa Licence en Histoire de
l’Art.
d’Emulation, en 1996, il aborde « L’industrie dans l’art, de Léonard
Defrance à la Belgique Industrielle ».
Limburg Maastricht, il parle de « L’art et la mine
dans le bassin liégeois, de Léonard Defrance à Gustave Marissiaux ».
perception, réparation et prévention (XVIIIe –Xxe Siècles)’, à l’Université Charles-de-Gaulle.
d’Archivage des Industries charbonnières, il fait une conférence sur «‘La houillère’
de Leonard Defrance. Quelques aspects des techniques de l’exploitation houillère
à Liège, à la veille de la Révolution industrielle ».
Centre culturel de Tilleur, il trace un ‘Panorama artistique de la vie, des
mœurs et du travail dans la principauté
de Liège, sous l’ancien Régime, à partir du peintre Leonard Defrance
(1735-1805).,
de clouterie de Leonard Defrance, approche technologique, Art & Fact,
9:145-149.
contexte technique dans quelques tableaux de Leonard Defrance, peintre témoin
de la technologie de son temps, Art & Fact, 9: 181-182.
Defrance (1735-1805). La houillère, in Sambre & Meuse, chemins de science
et d’humanisme, catalogue d’exposition.
la technologie dans l’iconographie, Patrimoine Industriel Wallonie-Bruxelles, 22: 3-19.